Chaque année, au moment des négociations commerciales, la France apparaît comme le pays où les relations industrie-commerce sont les plus tendues et crispées. Industriels et distributeurs se battent pour obtenir la plus grosse part d’un gâteau qui a tendance à se réduire dans un contexte de déflation. Les alliances récentes entre les centrales d’achats renforcent encore la pression sur les prix. Entre distributeurs et industriels, des relations moins conflictuelles et plus efficaces, basées sur la confiance, sont-elles possibles ? Sur quels fondements ?
Un peu d’histoire
Au début des années 90, le plus grand groupe français de distribution en Europe à l’époque, Promodès, a été précurseur dans les relations de coopération et de confiance avec ses fournisseurs industriels. Paul-Louis Halley, Président Directeur Général de Promodès puis Président de Carrefour, a été pionnier en formalisant une véritable « éthique de la relation commerciale ». Il a démontré qu’il était possible de sortir du seul rapport de forces entre l’industrie et le commerce pour générer ensemble une valeur ajourée et la partager. Aujourd’hui, un acheteur aurait tout intérêt à s’inspirer de cette éthique pour revoir ses pratiques et s’engager notamment sur les thèmes suivants.
Le respect du contrat
Avant d’initier quelque relation que ce soit, pour être en confiance, il paraît sage de définir les règles du jeu. Lors du premier rendez-vous de négociation commerciale, plutôt que d’exiger une réduction de prix, l’acheteur responsable cherchera simplement à écouter son fournisseur afin de connaître quel cahier des charges lui garantirait les meilleures conditions d’achat et d’identifier si son groupe peut y satisfaire…
Le partenariat dans le développement des marques de distributeur
Les marques de distributeurs devraient être une source de profit pour l’industriel et permettre un élargissement du choix pour le consommateur. En travaillant ensemble, acheteurs et fournisseurs peuvent innover : La gamme « Reflets de France », dont Joël Robuchon est le conseiller depuis l’origine, est une bonne illustration qu’un tel partenariat est possible. Elle a été lancée par Promodès en avril 1996 avec une trentaine de fournisseurs. Depuis 20 ans, cette marque reprise par Carrefour a permis à plus de 200 fournisseurs de développer leur notoriété, d’exporter leurs produits à l’international et de créer des milliers d’emplois.
Le partenariat dans la recherche d’économies
Pour améliorer la qualité et générer des économies à tous les stades des filières, un acheteur responsable proposera d’élargir la relation avec ses fournisseurs vers la création d’équipes mixtes comprenant des spécialistes qualité, marketing et communication, logistique et informatique des deux parties.
Le non-déréférencement abusif dans une relation de partenariat
Un acheteur responsable pourrait s’interdire toute pression injustifiée, comme le déréférencement d’un industriel sans examen minutieux et contradictoire du problème. En cas de désaccord avec son fournisseur, aucune décision ne devrait être prise sans avoir sollicité au préalable un contact au niveau des deux directions générales.
La réduction du crédit fournisseur
Le crédit accordé aux distributeurs génère des coûts administratifs pour les industriels et leur fait supporter un risque client important. Réduire le délai de règlement en échange d’un escompte est une voie possible qui mériterait d’être encore un peu plus explorée par un acheteur responsable.
Pour les acheteurs du secteur agro-alimentaire intéressés par une évolution stratégique de leur métier vers plus de coopération avec leurs fournisseurs, il existe des entreprises intéressantes à observer comme Naturex et les Ets Gueze. Il existe aussi aujourd’hui des outils utiles, testés et approuvés par les étudiants de l’ISEMA, comme le « guide de recommandations ISO 26 000 » sur la responsabilité sociétale, mis en œuvre avec succès par les jardineries naturelles botanic ou « Performance Globale » proposée par le Centre des Jeunes Dirigeants d’Entreprises. Une bonne prise en mains de tels outils par les acheteurs laisse espérer pour le futur des relations plus harmonieuses entre industriels et distributeurs.
Par Hugues DE VAULX
Breton d’origine, est intervenant à l’Isema depuis 2011 sur le thème des achats responsables. Diplômé d’un executive MBA de l’Université Paris-IX Dauphine, il a travaillé une dizaine d’années pour Promodès (Carrefour) où il a contribué à la mise en place d’une politique d’achats responsables. Il est aujourd’hui associé gérant de Coop alternatives, un cabinet de conseil en performance globale qui vise à transformer les organisations à travers la co-construction de projets, l’ouverture des esprits à la coopération et au travail collaboratif.